Pourquoi l’intelligence émotionnelle gagne à être ancrée dans le travail réel
Dans un monde professionnel où les transformations s’enchaînent, les émotions sont omniprésentes : peur du changement, sentiment de perte de sens, frustration face aux injonctions paradoxales…et aussi fierté du travail bien fait, joie de faire partie d’un collectif de travail…
Pourtant, ces émotions, agréables ou désagréables, restent encore mal comprises, mal écoutées, ou mal utilisées en période de transition, de changement organisationnel
Quand l’intelligence émotionnelle rencontre le travail réel
Faire parler les émotions autrement
Les outils comme l’EQ-i 2.0, qui mesurent l’intelligence émotionnelle, sont de plus en plus prisés pour accompagner ces évolutions.
Mais ils sont souvent utilisés en dehors du contexte du travail réel, comme si les émotions existaient indépendamment des situations concrètes dans lesquelles elles émergent.
Formée à l’ergonomie, spécialisée dans l’analyse de l’activité réelle, et praticienne certifiée à la passation du diagnostic EQ-i 2.0, je propose une approche hybride : relier les émotions aux situations de travail qui les génèrent.
Car les émotions ne sont pas que de simples traits de personnalité : elles sont situées, ancrées, révélatrices du rapport à l’environnement professionnel.
Le travail réel, ce théâtre émotionnel invisible
Le travail prescrit, celui des fiches de poste ou des organigrammes, est souvent très éloigné du travail réel, celui que les personnes accomplissent au quotidien, avec ses arbitrages, ses contradictions, ses adaptations silencieuses.
C’est dans cet espace du travail réel que les émotions prennent forme : un salarié peut ressentir de la frustration non pas parce qu’il est “émotionnellement instable”, mais parce qu’il doit contourner chaque jour un outil inadapté, ou qu’il n’a plus de marge de manœuvre sur ce qu’il considère comme le cœur de son métier.
Les émotions sont donc des indicateurs précieux du rapport entre la personne et son activité réelle. Encore faut-il savoir les écouter, et surtout les interpréter à la lumière du contexte de travail.
C’est là que l’analyse ergonomique des déterminants de l’activité devient un levier stratégique.
L’EQ-i 2.0 : un outil utilisé encore trop souvent “hors-sol”
L’EQ-i 2.0 (Emotional Quotient Inventory) est un questionnaire scientifiquement validé qui permet d’évaluer quinze compétences émotionnelles regroupées en cinq dimensions
- la perception de soi,
- l’expression individuelle,
- les relations humaines,
- la prise de décision,
- la gestion du stress
C’est un outil riche et nuancé. Mais, dans la pratique, parfois limité par un usage trop générique ou hors contexte.
Un exemple ?
Un collaborateur obtient une notation faible en “tolérance au stress”.
Si l’on ne s’intéresse pas à son environnement de travail réel, le risque est de lui proposer uniquement une formation à la gestion du stress… alors que son stress vient d’une surcharge chronique liée à un contexte d’absentéisme dans son équipe
Résultat : la solution proposée passe à côté de la cause réelle.
En quoi, croiser mesure et observation de terrain est essentiel
Combiner observation de l’activité réelle (entretiens, analyse de l’environnement de travail, description de tâches critiques) avec le diagnostic EQ-i 2.0 permet :
- de mieux interpréter les résultats du EQ-i à la lumière du contexte de travail,
- éviter la responsabilisation abusive des individus (ex. : “tu manques d’adaptabilité” alors que le système est rigide).
- formuler des recommandations vraiment utiles, car reliées à l’environnement de travail réel
Comprendre le travail réel et comprendre les émotions vont de pair
Un exemple
Dans une organisation en pleine transformation numérique, un manager présente une notation faible en “expression émotionnelle”.
Un coaching classique aurait pu l’orienter exclusivement vers un travail personnel sur la communication ou la capacité à établir des relations.
Mais l’observation de son activité montre qu’il est soumis à des tensions de rôle fortes.
Il doit relayer des décisions impopulaires qu’il ne comprend pas lui-même, sans marge de négociation, avec des indicateurs contradictoires.
En réalité, il est pris en étau entre injonctions paradoxales, conflit de valeurs.
L’approche croisée EQ-i 2. 0 /analyse de l’activité lui permet d’identifier un malaise éthique présent dans un contexte organisationnel
Le travail peut alors consister à rétablir un espace de parole entre niveaux hiérarchiques, pas seulement à travailler son expressivité.
Ce que cela change pour l’entreprise
Ancrer l’intelligence émotionnelle dans l’analyse du travail réel, c’est :
- passer d’une approche normative (“il faut gérer ses émotions”) à une approche compréhensive (“qu’est-ce que cette émotion me dit du travail que je fais ?”),
- éviter de renvoyer la responsabilité de l’émotion au seul individu,
- ouvrir des leviers de transformation organisationnelle à partir des signaux émotionnels du terrain,
- et surtout, redonner aux salariés la légitimité de parler de leur vécu émotionnel au travail sans culpabilité.
L’avenir de l’intelligence émotionnelle est situé
L’intelligence émotionnelle ne devrait pas être cantonnée à des programmes de développement personnel hors contexte.
Elle est d’autant plus utile quand elle permet de mieux comprendre les situations réelles de travail, les contraintes invisibles, les tensions vécues
En combinant l’approche ergonomique d’analyse de l’activité et le diagnostic EQ-i 2.0, je propose une lecture plus fine, plus juste et plus efficace des émotions au travail. Non pas pour les contrôler, mais pour en faire des boussoles.
En résumé : en quoi ma démarche est différente
Approche « classique » | Mon approche combinée |
Focus sur l’individu | Lecture systémique du rapport au travail |
Utilisation isolée du EQ-i 2.0 | Croisement EQ-i + analyse du travail réel |
Actions génériques | Actions contextualisées, concrètes |
Risque de psychologisation | Prise en compte de l’environnement et des contraintes |
Vision top-down de la régulation des émotions | Écoute et identification des émotions situées, approche bottom-up |
Les émotions recèlent une mine d’informations pour qui sait, plutôt que de tenter de les contrôler, les écouter et chercher à en comprendre les causes.
Pour ce faire, il est nécessaire de retourner à leur source, c’est-à-dire aux situations de travail réel et aux événements qui viennent perturber le travail quotidien.
Dirigeants, RH, managers, si vous souhaitez vraiment écouter le terrain, prenons le temps d’en parler.

